samedi 4 septembre 2010

Pour un T-Shirt.

Maboumba était grand. Costaud. Sympa. Drôle. Et, d'origine africaine. Il avait un groupe de copain qui comptait une dizaine de gaillard de tout les genres. Ils l'appelait "Le Prince Abou", " Le grand Abou" ou plus simplement " Mab " ou " Abou ". Parfois quelqu'un croyait drôle de l'insulter et aussitôt, Maboumba allait voir le type en question avec toute sa clique et le regardait droit dans les yeux.
" Qu'est-ce que tu as dis ?"
Et le type baissait les yeux. Vaincu.
Abou et sa bande était inséparable. Pendant les récrées, après, avant, à la cantine, dans la rue. Tout le temps ensemble. Abou leur racontait des histoires. Qui font rêver. Qui font peur. Qui font pleurer. Et un jour, après le repas, alors que le grand manitou s'apprêtait à dévorer le chef courageux du village et que tout le monde retenait son souffle, une petite voix s'éleva de derrière le grand Maboumba.
" J'aime pas les Blacks."
Tout le monde resta en apnée. Maboumba se retourne lentement et découvre une petite fille, gringalette, plongée dans un bouquin.
" - Pardon ?
- Je n'aime pas les Blacks. "
L'apnée commença à être difficile, plusieurs personne respire. Mais la surprise ne bougea pas. Personne, personne n'a jamais, jamais insulté Maboumba, enfin si, mais personne n'ai jamais sortit idem d'un tel affront, et l'assistance se demanda ce que le terrrrrrrrrrrible Maboumba réserve à la minuscule fillette. Le roi Abou prit un ton aimable.
" - Et qu'est-ce que je suis moi ?
- Un français. "
La réponse affirmative, suivant au tac au tac, ne souffrait pas de doute. La tension monta d'un cran dans l'assemblée, mélangée à de l'incompréhension. Maboumba leva les bras au ciel dans un geste magistrale pour cacher sa fierté et son trouble.
" - Bon, on va faire au plus simple, de quel couleur est ma peau ?
- Hum, je dirais de couleur chocolat noir à 75%, quoique le café Arabica à aussi des tons dans ce goût là, mais arrête-moi si je me trompe, j'ai beaucoup de mal avec les nuances du marron. "
Stupéfaction totale. Plusieurs froncèrent les sourcils, quelle inconsciente ! D'autre restèrent abasourdis, se demandant où elle va en venir. Maboumba la regardait, elle, elle ne levait pas le nez de son livre, imperturbable. Pour se rassurer, Abou jeta un oeil parmi ses camarades, non, il était bien le seul de couleur. Il s'accroupit alors à la hauteur de la petite.
" - A qui parles-tu ?
- Personne.
- Bon, de qui tu parles alors ?
- Personne."
Les répliques fusent, tellement rapide qu'elle en deviennent incontestable. Elle n'avait pas daigné lever les yeux, ne sentant pas le danger. Exaspérant le Prince Abou. Un Prince plus perdu qu'en colère à présent, il sentait qu'un petit quelque chose lui échappait - c'était vraiment le cas de le dire- et il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Et ça l'embêtait. Un peu. Beaucoup. Il attendait qu'elle s'expliquait, mais comme elle restait muette, il réitéra sa question, poliment. Le plus qu'il put, tentant de masquer son impatience et son incompréhension.
" - A personne dis-tu ? "
Elle soupira, comme si la réponse était l'évidence même. Elle le regarda, à la limite de l'ennuie.
" Sauf si tu aimes tellement ton T-Shirt, et que tu l'idolâtre tellement que tu le personnifies."
Silence consterné. Plus personne ne comprenait rien. Se moquerait-elle du monde ? Et pourtant, elle avait l'air si sérieuse. Si sûre d'elle.
" - Je ne vois pas ce que mon T-Shirt viens faire là-dedans !
- Je n'aime pas les Blacks. "
Abou se retint de hurler le " je sais " qui lui picotait la langue.
"- Et ?
- Et c'est le nom du groupe de musique qui est inscrit sur ton T-Shirt."
Un grand silence suivit la déclaration. Abou ne savait que faire. Puis il se dérida et partit d'un tonitruant éclat de rire, rapidement repris par l'ensemble de ses amis. Puis le groupe s'éloigne, la cloche à sonner.
Sans voir le discret sourire qui vient de se peindre sur la petite lectrice.

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